Je flânais dans les rues de
la capitale. Les messieurs avec redingote et monocle, les dames habillées de
belles tenues de soie rose, les vendeurs de journaux du soir et les pickpockets
se bousculaient dans les rues piétonnes du premier arrondissement.
J’admirais des gants de
soirée exposés dans une vitrine lorsque la pluie se mit à tomber. Comme beaucoup
de gens j’allais m’abriter sous l’auvent d’un magasin. La foule était tellement
entassée dans ce minuscule abri que le bord du large chapeau d’une jeune fille
– fort jolie par ailleurs – m’appuyait sur le cou.
Le glas se mit à sonner,
sans doute le marquis de Velcombe avait-il enfin cessé de souffrir. La pluie se
fit plus drue, et un éclair vert illumina la ville. Me croirez-vous quand je
dis cela ? A votre guise, j’ai du mal à le croire moi-même. Je suppose
qu’il était vert.
Soudain, comme mus par une
force occulte, tous les jeunes hommes de vingt à vingt-cinq ans – ce qui
m’excluait – sortirent de leur abri, les membres raides, la tête tordue, la
bouche ouverte. Leurs canines m’apparurent anormalement longues, un peu comme
des crocs. Peut-être un effet de mon imagination.
Ils étaient nombreux, une
foule entière de damoiseaux de bonne famille, à taper du pied comme des taureaux
furieux dans cette rue commerçante habituellement tranquille. Certains
vociféraient tellement fort qu’ils couvraient le bruit assourdissant des
grosses gouttes d’eau s’écrasant au sol. Leurs doigts recourbés m’évoquaient
des serres de vautours prêtes à agripper leur proie. Dans un autre éclair de
lumière, rose cette fois, je crus apercevoir une corne sur le front d’un garçon,
mais l’illusion se dissipa rapidement et je pensai avoir rêvé. Personne d’autre
que moi ne semblait avoir remarqué le phénomène.
Je vis quelqu’un huer son
camarade, lequel avait un visage porcin luisant de sueur. Pendant un instant,
un groin se matérialisa à la place de son nez. A ce moment déjà, ma perception
était altérée.
La cloche continuait sa
lugubre mélopée.
Mes cheveux se dressèrent
sur mon crâne quand les hommes, ressemblant à cet instant précis à des loups
partant en chasse, se mirent à galoper sur place. Mon sang se glaça dans mes
veines face à ce spectacle. Le vacarme était insoutenable. Les gens autour de
moi continuaient à discuter sans paraître dérangés par le bruit des dizaines de
pieds martelant le sol. Peut-être qu’ils ne l’entendaient pas.
Je ne saurai jamais ce qu’il
s’est passé ensuite, car un voile noir m’est tombé devant les yeux.
Je me suis réveillé dans ma
chambre, ma femme à mon chevet.
Les journaux n’ont fait
aucune allusion à ce que j’ai vu.
En me regardant dans le
miroir, j’ai vu qu’une marque rouge me barrait la gorge au niveau de la jugulaire,
là où le bord du chapeau de la jeune fille avait appuyé.
Que pensez-vous qu'il s'est passé ?
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