Etrangeté

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Un soir de novembre, je fus témoin d’un évènement pour le moins étrange.


Je flânais dans les rues de la capitale. Les messieurs avec redingote et monocle, les dames habillées de belles tenues de soie rose, les vendeurs de journaux du soir et les pickpockets se bousculaient dans les rues piétonnes du premier arrondissement.


J’admirais des gants de soirée exposés dans une vitrine lorsque la pluie se mit à tomber. Comme beaucoup de gens j’allais m’abriter sous l’auvent d’un magasin. La foule était tellement entassée dans ce minuscule abri que le bord du large chapeau d’une jeune fille – fort jolie par ailleurs – m’appuyait sur le cou. 


Le glas se mit à sonner, sans doute le marquis de Velcombe avait-il enfin cessé de souffrir. La pluie se fit plus drue, et un éclair vert illumina la ville. Me croirez-vous quand je dis cela ? A votre guise, j’ai du mal à le croire moi-même. Je suppose qu’il était vert.

Soudain, comme mus par une force occulte, tous les jeunes hommes de vingt à vingt-cinq ans – ce qui m’excluait – sortirent de leur abri, les membres raides, la tête tordue, la bouche ouverte. Leurs canines m’apparurent anormalement longues, un peu comme des crocs. Peut-être un effet de mon imagination. 


Ils étaient nombreux, une foule entière de damoiseaux de bonne famille, à taper du pied comme des taureaux furieux dans cette rue commerçante habituellement tranquille. Certains vociféraient tellement fort qu’ils couvraient le bruit assourdissant des grosses gouttes d’eau s’écrasant au sol. Leurs doigts recourbés m’évoquaient des serres de vautours prêtes à agripper leur proie. Dans un autre éclair de lumière, rose cette fois, je crus apercevoir une corne sur le front d’un garçon, mais l’illusion se dissipa rapidement et je pensai avoir rêvé. Personne d’autre que moi ne semblait avoir remarqué le phénomène. 


Je vis quelqu’un huer son camarade, lequel avait un visage porcin luisant de sueur. Pendant un instant, un groin se matérialisa à la place de son nez. A ce moment déjà, ma perception était altérée.

La cloche continuait sa lugubre mélopée.


Mes cheveux se dressèrent sur mon crâne quand les hommes, ressemblant à cet instant précis à des loups partant en chasse, se mirent à galoper sur place. Mon sang se glaça dans mes veines face à ce spectacle. Le vacarme était insoutenable. Les gens autour de moi continuaient à discuter sans paraître dérangés par le bruit des dizaines de pieds martelant le sol. Peut-être qu’ils ne l’entendaient pas. 


Je ne saurai jamais ce qu’il s’est passé ensuite, car un voile noir m’est tombé devant les yeux. 


Je me suis réveillé dans ma chambre, ma femme à mon chevet.


Les journaux n’ont fait aucune allusion à ce que j’ai vu.


En me regardant dans le miroir, j’ai vu qu’une marque rouge me barrait la gorge au niveau de la jugulaire, là où le bord du chapeau de la jeune fille avait appuyé.



Que pensez-vous qu'il s'est passé ?

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